Comment j’écris / 2

sommeil impossible

Comment j’écris / 2

EXIGENCES DE L’ÉCRITURE

Parmi les exigences de l’écriture, il y a une contrainte qui m’est extrêmement favorable. Ce qu’elle exige, plus que la musique et l’image, chez moi, oblige l’arrêt et la concentration. Ce faisant, elle me les permet, me les offre. Je peux vite prendre ma guitare et chanter de suite: les muscles se chaufferont en jouant, ma pensée peut continuer de discourir et de tergiverser à mille autres choses – ma musique y perd évidemment en présence et en expressivité mais cela ne l’empêche pas d’exister. Maintenant que j’y pense, la photographie me demande aussi un certain rassemblement, c’est un mode opératoire de vigilance particulier, cependant mon attention est tournée sur le dehors.

Écrire, par contre, fait un pont constant entre dedans et dehors. Il y a ce que je vois et ce que je ressens, une circulation – des circulations permanentes entre ces pôles et aussi le cognitif et l’éprouvé, la sensation et la volition. Et je dois y être tout entier, absorbé, d’une concentration synoptique, précise et vaste à la fois.

Et il y a aussi ce mécanisme de rêve éveillé où, malgré les yeux ouverts, je ne vois plus, je vois ce que j’imagine mais non ce qui est devant mes yeux – troublant phénomène. En réalité, il y a un pont avec la musique, quand, pour écrire comme j’écris à l’instant, je commence par écrire mon journal, sans aucune exigence, j’écris ce qui a eu lieu, je chauffe mes muscles pour ainsi dire. Et alors, une des choses qui peut arriver, c’est que dans le fil de cette écriture débonnaire, je tombe sur un thème dont je sens qu’il me touche d’une façon singulière et que je vais pouvoir le laisser me faire vibrer dans des zones poétiques – ou dans une expression personnelle qui n’est plus privée et qui offre des cavités de résonance. Parfois c’est une phrase écrite qui instaure une autre ambiance, qui fait bascule.

CHERCHER SANS CHERCHER

Mais aujourd’hui, la contrainte dont je voulais parler et dont j’ai eu besoin pour arriver à ce lieu d’inspiration où les mots sourdent d’un espace moins conscient et moins décidé, c’est donc l’arrêt et la concentration. J’ai écrit quelques lignes de journal, les événements et émotions saillants de la veille, et je me sentais privé de l’accès à cette autre source. J’ai dû relever la tête, respirer de grandes brassées d’air, me laisser envahir par l’oud d’Anouar Brahem, contempler le vol des mouettes et ne rien chercher. Juste être là, sentir. Ne pas voir mais regarder, ne pas entendre mais écouter, croiser les bras et accepter que peut-être cinq, dix minutes passent, parfois plus, sans que rien ne survienne. Faire confiance. Mon expérience sait qu’il y a toujours un moment où quelque chose se déclenche. Alors, je n’ai plus qu’à être attentif, saisir le fil et le suivre délicatement, poser sans forcer les phrases qui se déroulent, être juste derrière chaque mot, ni devant ni trop en arrière.

UNE MÉDITATION

Et cette contrainte m’est favorable, car c’est sans doute une des très rares occasions où ma disposition à la patience est totale. Où l’arrêt, le silence et la concentration rencontrent mon désir – ou peut-être les exigences posées sur mon désir: Je suis d’accord d’attendre, de ne rien faire, de contempler, de n’être rien qu’un réceptacle, une antenne réceptive en accueil de ce qui veut bien advenir et que je ne décide pas. J’ai mis longtemps à réaliser que les vertus ressenties de mon rituel d’écriture ressemblaient de très prêt à ce qu’on décrit des effets de la méditation. Et il ne fait aucun doute que, pour peu que je parvienne à ce lieu particulier d’inspiration, je tombe à chaque fois en transe hypnotique. Écrire est une transe, parfois. Un doux bonheur alors.


Premier texte sur “comment j’écris”: Comment j’écris / 1


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Artiste polymorphe suisse

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