Ce séjour à Paris a peut-être tout changé. Je me retrouve souvent à y penser quand je suis perdu, et le souvenir de ce que j’y ai redécouvert me redonne instantanément des repères. Ça a commencé le premier jour. J’avais eu tellement le souci de retrouver là-bas les mêmes ornières que chez moi, les mêmes complications, je n’aurais pas imaginé qu’elles disparaîtraient quasi instantanément. J’ai d’abord eu peur, je craignais d’arriver en retard, de peiner à trouver le chemin. J’ai eu ces quelques minutes d’anxiété du train au métro. Je ne sais plus exactement à quel moment, mais tout d’un coup, cette anxiété a laissé la place à une excitation enjouée. Les rues, le monde, ce paysage citadin particulier, j’y étais, j’étais à Paris, j’allais arriver à mon rbnb et j’allais passer là deux semaines.
Ça faisait des années que toute tentative de partir en vacances seul était un échec. Après la Grèce, New-york, le Maroc, quelque chose s’est fermé et ne s’est plus jamais ouvert. Je pouvais aller au Salève, à Chaumont, au Jura. Le village des Saintes-Marie-de-la-Mer formait une exception, une destination possible si je parvenais à partir sur un coup de sang. J’y ai d’ailleurs vécu ma plus belle semaine de congé de ces dix dernières années. C’était en janvier 2015. Je me promenais, écrivais en buvant des cafés aux terrasses ensoleillées, l’air était incroyablement doux, j’étais fabuleusement inspiré, les lignes deviendraient le livre dont je suis le plus content aujourd’hui « le présent des autres ». Et le 15, j’entendais les gens parler avec passion de quelque chose. Charlie Hebdo.
Si je pense à ce séjour comme un récit, une histoire, l’énigme tourne autour de ma peur de ne pas réussir à profiter, à lâcher prise, à ne pas bosser, à ne pas filmer pour filmer, à me foutre la paix, à ne pas penser création, succès, réseaux sociaux. Avant de partir, c’est mon enjeu principal : j’ai besoin de vraies vacances, de repos, il est exclut que j’embarque toutes mes tensions artistiques avec moi. Ce que j’emporte comme matériel est un bon critère : si je sens clairement ce que je veux prendre et ne pas prendre, une bonne partie de la chose est déjà réglée. Si c’est confus, c’est qu’il y a encore du boulot à faire pour accéder à ce dont j’ai vraiment envie.
Finalement, j’ai pu goûter encore et encore à être là où j’étais, cheminant, musardant. Et même si j’avais éventuellement un but, une destination, je pouvais me rappeler au regard de ce qui m’entourait. Aussitôt, quelque chose dans le corps se détendait, et je découvrais le monde étrange de ce présent. Et c’était délicieux de n’être nulle part ailleurs, de ne pas y être déjà, dans cet ailleurs qui viendra. Rien n’était plus précieux. J’en chéris le souvenir, et c’est un jardin que j’espère nourrir aussi longtemps que possible. (Regarder la sélection de mes photographie: Paris été 2022)