Libérer sa créativité: c’est comme de libérer son être, sa vie: ça demande beaucoup d’attention, de persévérance, de douceur, de patience – et ce n’est jamais fini. Un travail continu, une créativité en soi. Libérer sa créativité demande de la créativité, sans doute. J’ai écrit ce texte ce matin, publié sur mon tumblr. Il parle d’un petit gain de liberté, d’une nouvelle prise de conscience.
UN PETIT PAS DE CÔTÉ – qui fout tout en l’air
J’ai bien dormi. Je suis allé me promener, poser des tomates séchées à la porte de Coco. J’ai fait des photos avec le petit Nikon dans le brouillard. J’avais envie d’être là. Je marchais tranquillement, sentais peu à peu mes muscles se détendre, se délier du sommeil. Encore habité par mon refus: ne me demande pas de penser production artistique. C’est ce moment où ça installe mon geste créatif sur une dimension… artistique ?… une forme d’exigence… ou même pas, juste ça sort du corps pour trafiquer quelque chose qui n’est pas là. C’est difficile à décrire. Un autre que moi. Je fais ce que je fais avec d’autres motifs que ceux du désir, du plaisir, de l’élan spontané. Ça va se mettre sur les rails d’une représentation que j’essaye de décrire et peine à circonscrire.
Un truc qui me déporte. C’est un peu le propre d’une idée. Tu es là, une idée passe et elle t’emmène ailleurs. C’est intéressant. Ça fait bouger le monde. Mais l’idée à laquelle je pense n’est pas un élan. Il faut que je précise : je pense idée-représentation. La représentation qui me fait faire ce que je fais autrement, qui influence mon geste et le détourne de sa forme brute, première.
Je peux faire sans penser, je peux faire par pur goût du geste : travailler une image et sentir quand le curseur me donne la couleur que je cherche ou qui me surprend et me séduit, m’arrête. Ou je peux faire sous le joug d’une vague idée d’un résultat que j’imagine être attendu par des autres pour que toutes et tous aient un regard sur le résultat qui dirait : “excellent travail, il est bon, ça vaut quelque chose, il est remarquable, j’en veux plus, montre voir tout ce que tu fais, tu m’intéresses, et tout ce que tu fais m’intéresse, et pour toujours.”
Ce petit pas de côté qui se demande quelle forme donner à ce que je suis en train de faire pour que ça intéresse les autres. Et si la forme existante suffisait ? Si je pouvais juste rester dans ma forme à moi, dans mon corps, dans ma trace, dans ma spontanéité organique ?
Ce petit pas de côté : c’est ce que j’essaye de décrire depuis tout à l’heure. Un pas de traître. Un pas de perdition. C’est ce petit pas de côté qui fout tout en l’air, qui m’empêche (m’évite?) d’être avec moi. Oui, m’évite : il m’évite la prise de risque de me montrer comme ça, sans mise en forme, juste comme je suis, de montrer ce que je fais comme je le fais sans vérifier que ça a de la gueule, que ça a la bonne forme, la forme intelligente, la forme irréprochable, la forme digne, la forme artistique.
C’est ce petit pas de côté que je ne veux plus faire. Et comme d’habitude, ça commence par me voir en train de le faire encore et encore malgré moi. Le repérer. “Ah, tiens, il est là, mon petit pas de côté. D’accord, je t’ai vu, je te vois. Tiens tiens…” Et sans doute, de sentir de la fatigue, de la tension, des attentes: comment faire un pas de côté pour s’effacer sans que cela ne produise immédiatement des attentes, un besoin de compensation ?!
Lui faire l’honneur de mon attention, pleine, délicate, c’est le moyen le plus sûr de le voir disparaître. Un des petits pas pour libérer sa créativité.
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