Pourquoi ne pas rester là ?

Photographie Double Exposition Snapseed Borisdunand 8

Un mensonge qui fait du bien / 003

Dans cette chambre, qui est plutôt un salon, il y a, sur le côté et coupée dans le pan du toit, une fenêtre. Une ogive large, lumineuse et profonde. Les jours de grand désert, je peux venir me loger là. Le dos posé d’un côté, le bout des pieds posés de l’autre, la tête légèrement tournée vers le ciel immense et dessous, une cité étrange.

Mille fenêtres colorées, de grands immeubles tous plus bas que l’horizon, silhouettes sombres venues de la nuit. Une phosphorescence monte entre eux, comme un reflet d’en haut. Turquoise, violette, jaune, rouge, suintant verticalement de l’ombre vers la lumière. Rapidement, un soleil passe, puis disparaît. La lumière est si forte qu’elle reste en suspension longtemps dans l’atmosphère. Je croise les genoux, j’ajoute au bas de mon dos un petit coussin. Je continue de regarder dehors. La ville est si lointaine. Elle émet des sons, presque une musique : toujours les mêmes cinq notes en boucle qui se mélangent dans un écho hypnotique.

J’entrouvre la fenêtre pour me laisser bercer. L’air est tiède et brumeux. Je vais me chercher une couverture pour m’ensevelir mieux encore sous les nappes de ma rêverie. Je ne sais pas si je me relèverai un jour. Pourquoi ne pas rester là, et attendre d’être soudainement brûlé par le soleil lors de l’une de ces fameuses crispations planétaires où tous les cycles se figent ? Où bien fondre en laissant la bruine entrer, très lentement rongé par les acides. Quelle serait la raison de faire autre chose ? De recommencer ? De descendre de ma tour pour retrouver le fil nerveux des vivants ? Je soupire et mon regard se perd plus loin encore.

Je peux entrer dans la lueur violette entre une petite maison et un building. On dirait un puits. Il y eut là un ruisseau, autrefois, avant le grand bouleversement. D’aucuns diraient que c’est son aura, la rémanence subtile de son souvenir, que l’on perçoit. La lueur est belle, ça me suffit. L’histoire du ruisseau ouvre un songe mélancolique en moi. Je sais qu’il a existé. J’aurais aimé le connaître. Je me souviens de ceux que j’ai croisés, dans le grand Nord, quand mes parents nous emmenaient ma sœur et moi dans ces contrées désormais inhabitables. Un frisson. Je ferme la fenêtre. Le soleil passe. Les bâtiments s’éteignent un moment. Sur la crête du Jura, un liseré bleu vibre juste avant que la grande gerbe de photons ne s’étale tout autour de la vallée. Il nous reste encore une heure de clarté.

Je me demande quel est mon programme aujourd’hui. Je me souviens qu’il ne me reste plus beaucoup de sachets bleus et qu’il va falloir passer au comptoir du premier sous-sol si je veux pouvoir dormir un peu.

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Artiste polymorphe suisse

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