Un excellent remède

Washington Dc

Un mensonge qui fait du bien / 002

Ce matin, ce sont les pas qui ont fabriqué quelque chose. Transformé quelque chose. Il y avait un avant, et il y a eu un après. Sous ma gorge, juste dans le petit creux entre les clavicules, ça avait bougé. Une rotation cellulaire. Je suis descendu dans les nuages, rien de bien mystérieux. Il suffisait de prendre les escaliers vers le bas. J’ai atterri là. Il y avait des moutons, des filles en robe blanche, une odeur de glacier et mes poumons qui se remplissaient comme des outres assoiffées. J’ai suivi la trace d’un cercle. On aurait dit des empreintes de 15 moineaux qui avaient voulu m’éviter toute hésitation. Je n’avais qu’à marcher dans leurs petits pas. À vrai dire, je flottais un peu, car mes poumons se gorgeaient tant et tant que je survolais de quelques centimètres les nuages comme une montgolfière, lévitant doucement entre chaque pas. Derrière la vitre opaque, des camions, du goudron, des grues, des klaxons, la ville riait comme ces êtres qui ont perdu la raison. Heureusement, je ne l’entendais pas.

J’essaie maintenant de retrouver le fil saisi hier. Il flotte quelque part dans la chambre, pendu au plafond. Je tends la main, mon pouce et mon index prêts à pincer le filament doré. Je sais qu’il est là. J’ai peur de ne pas y arriver. C’est un art subtil, car je dois m’en occuper sans m’en occuper, et je ne me souviens jamais comment on fait ça. Je dois redécouvrir à chaque fois. Le pire c’est que parfois j’ai l’impression de le sentir entre la pulpe de mes doigts alors qu’il s’en trouve fort loin, et parfois je m’aperçois qu’il est venu se loger dans mon piège sans que je ne le sache. Par exemple, maintenant, je ne saurais dire si c’est bien lui que je fais glisser contre mes empreintes ou s’il n’y a rien du tout, là, sous cette ligne qui se déroule par à-coups, incertaine, manquant d’audace et de fluidité. Allez savoir. Un indice m’éclaire cependant : je ne doute plus quand je sens danser entre mes côtes une bande d’enfants guillerets qui s’amusent et rigolent. Quand ils sont là, je ne me pose même plus la question. La roue avance toute seule, et j’écoute leurs rires, et je ris avec eux de leurs espiègleries, des histoires qu’ils se racontent pour se faire peur, ou simplement pour inventer des mondes plus fous mais moins insensés que le monde où nous sommes.

Sur mon bureau, une petite flaque noire, une pierre blanche, un rectangle vide : à mon époque, nous pouvons interagir avec des formes lisses et homogènes, on leur transmet simplement l’information par la pensée. Autour de moi, les fantômes de cartons naissants. Les objets tombent dedans. Les disques, les livres, les photographies, les classeurs. Je les vois qui perdent l’équilibre et s’emboîtent les uns après les autres. Je remue à peine le nez et tout se met en place, c’est magnifique. Ma journée se dresse, gigantesque vague verte et bleue, lente, un peu transparente. Il va falloir que je sorte ma planche et que j’accepte de glisser sur ce mastodonte, mais on a le temps, on a le temps. 

Je me suis réveillé une heure avant que mon sommeil ne soit réparé. Je me suis fait gronder par un être sorti des songes qui m’a assommé à force de petites caresses. Ça a bien pris vingt minutes, mais il a réussi à me renvoyer dans les vapes. Au deuxième réveil, je sentais bien que le travail avait été malmené et que les pièces de ma conscience étaient de guingois – encore une fois. Ça se voyait sur ma gueule d’ailleurs. Les choses n’étaient pas tout à fait à leur place. Et c’est là, justement, que j’ai eu envie de renouer avec un rituel délaissé depuis quelques temps. Enfiler mes membres défaits dans deux trois tissus vaporeux et me diriger tant bien que mal vers l’escalier. Excellent remède, je dois dire. Oui, j’avais oublié combien ce détour fait du bien. 

Un peu comme cet envol. Emporté, des étincelles glissant sous mes pieds nus et tombant là-bas, sur l’écran connecté. Des petites plumes virevoltant jusqu’au sol et s’assemblant en formes de paroles. J’imagine le duvet d’une doudoune fendue, et ces petits signes qui, déposés l’un après l’autre, s’agencent tendrement pour dire quelque chose que je ne sais pas encore. L’occasion pour le grand songe de réparer encore un peu ce que la nuit n’a pas pu faire. Des pirogues dans un canal entre deux îles grecques, les reflets du soleil quand il s’épuise. Les ombres nettes et floues des branches sur un grand mur rouge. Le treillis de néon d’un café à New York ou Philadelphie, je ne sais plus. Des rangées de pellicules photographiques que la lumière n’a pas encore connues. Des pages et des pages de pensées empilées, compressées, organisées, un infini de présences qui se sont exprimées là, à tout jamais, tant que le feu, la pluie et le temps les préserve. Ça paraît fou.

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Artiste polymorphe suisse

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