Un voisin qui exagère

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Une histoire de bruit de voisinage, de voisin qui exagère, de tapage nocturne, de nuisance sonore, de personnalité toxique, d’abus de pouvoir, de pervers narcissique. – toute ressemblance avec des personnes réelles est fortuite.

CELUI QUI FAISAIT DU BRUIT À L’INSU DE SON PLEIN GRÉ

Tout a commencé par un sms : mon voisin du dessous m’annonçait qu’il avait une inondation chez lui arrivant de chez moi. Anecdote aussi comique que mystérieuse, quand j’apprendrai quelques années plus tard que sa voisine du dessous (devenue depuis ma voisine d’à côté) avait dû hausser le ton quand les deux premières inondations qu’elle avaient subies à cause de la machine à laver défectueuse dudit voisin se répétaient par une troisième : « il faut que je te le dise comment ?! » J’ai la même phrase au bout des lèvres depuis quelques semaines, après deux ans d’abus.

J’étais rentré chez moi dubitatif et inquiet, pour découvrir que non, effectivement, il n’y avait aucune fuite d’eau chez moi. Je n’ai jamais su de quoi il retournait.

Cette année, je me suis souvenu du bruit de cette machine quand elle passait en mode essorage en tapant violemment contre le mur, ce qui arrivait régulièrement. Je continue de me demander par quelles répressions internes je n’ai jamais rien dit, car c’était avant que je commence à avoir peur de lui. Les bruits des voisins faisaient parties du paysage sonore. Les télévisions trop fortes des personnes âgées qui n’entendent plus assez bien, la voix flutée de Mme G. qui chantait tout d’un coup le dimanche matin, les cris colériques du couple du cinquième au milieu de la nuit et leurs meubles qui tombaient, les portes qui claquent. Tout comme les travaux lors de la construction d’un septième étage au-dessus de mon sixième, le marteau piqueur qui commençait à 6h55 juste en-dessus de mon lit. Il ne me venait même pas à l’esprit d’exprimer mon inconfort. J’endurais. Je considérais ça comme des circonstances avec lesquelles il fallait vivre. Les cris du couple me faisaient peur et j’ai chaque fois hésité d’appeler la police – je me demande ce que celle-ci ferait aujourd’hui, vu les réponses à mes derniers appels. Et moi, je devais parfois aussi envahir mon entourage, avec mes chansons. Un soir, je jouais passé 22h, peut-être même passé 23h, pas fort, mais pas doucement non plus, le voisin d’à côté, qui avait son lit juste derrière le mur avec sa compagne, a tapé contre le mur. Je me suis raidi, figé, mal à l’aise et coupable. Il n’a plus jamais eu besoin de signifier sa demande.

Vous voyez cette réaction : « Oh ! Mince, désolé, je ne me rendais pas compte ! Evidemment, j’arrête de suite, vraiment navré… » C’est celle que j’ai eu, c’est celle qu’H. a eu quand je lui ai écrit que ses douches après les heures convenues rendaient mon sommeil et celui de ma compagne complètement impossible ; celle que l’autre a eu quand je lui ai dit à 4h du matin que son téléphone sur haut-parleur à plein régime et sa voix au même volume m’avaient réveillé pour la troisième fois ; c’est celle que D. a eu quand je lui ai dis que peut-être c’était lui que j’entendais marcher dans tous les sens en tapant le talon pendant deux semaines le soir entre 22h et minuit ces derniers temps, un bruit qui m’empêchait d’entendre le film que je regardais, de lire mon livre, de nous concentrer quand Claire et moi répétions pour son examen de Shiatsu – comme si un marteau en plastique agrippé dirigé contre le sol et associé à une locomotive frénétique frappait le sol – pour comprendre quelques semaines plus tard que non, ce n’était pas lui. Mais n’allons pas trop vite. Tout d’abord finir ce point : vous la voyez cette réaction ? C’est celle que « l’homme qui faisait du bruit à l’insu de son plein gré » (je l’appelle ainsi depuis peu, afin de ne pas m’entendre dire l’insulte qui seule correspond à ce que j’éprouve pour ce personnage) n’a jamais eu. A peine du désolé et du navré dans les premiers sms échangés, toujours accompagnés d’un charmant petit « mais ». Mais quoi ?! Mais je veux pouvoir inviter mes copains, mais c’est pas comme si je faisais la teuf tous les weekends… Comme si Hélène m’avait répondu « mais faut quand même que je puisse me laver ».

La première fois que je lui ai fait une remarque, c’était quelques temps après avoir reçu son sms. Claire dormait chez moi. Nous tentions de dormir, il était passé 23h ou peut-être 2h du matin, ces scénarios sont arrivés, ils se mélangent dans ma mémoire. Il était au téléphone, il parlait comme s’il était sur une terrasse, la voix dégagée, tranquille, sans le moins du monde baisser le ton étant donné l’heure. J’avais son numéro grâce à son premier sms, je lui ai écrit. Je crois qu’il a fini par le voir après avoir fini son téléphone. Ça avait l’air de le surprendre qu’on l’entende. Fin du premier épisode. (J’ai dû supprimer ce premier message, je ne le retrouve pas).

Un autre soir, 23h, le volume d’un film nous empêche de dormir. Je vois aujourd’hui mon sms et les premiers signes de mon côté conciliant, manquant d’affirmation, craignant la colère, n’osant pas mettre mes limites – dont il a par la suite abusé sans vergogne. Je n’ai pas de réponse à ce sms.

Les choses ont commencé à se gâter la nuit du vendredi 2 octobre 2020. Musique, voix, fête à 3h du matin. Je suis descendu à sa porte. C’est un pote à lui qui m’ouvre, je vois du monde derrière, je dis au type je ne sais plus quoi, comme quoi j’habite en-dessus et qu’on essaye de dormir. J’ai dû manquer de fermeté, sans aucun doute. Aujourd’hui, j’exigerais que la fête se termine et que tout le monde se casse, sans quoi j’appellerais les flics. Je suis remonté me coucher, Claire qui travaillait le matin fulminait, la musique a vaguement baissé d’un ton, on entendait toujours tout, jusqu’à ce que les volumes reprennent doucement leur niveau de confort… Et j’entends des coups à la porte ?! C’est lui qui, je l’apprends dans son sms du lendemain, venait, à 4h du matin venait parlementer : « Hello Boris, désolé mais c’est les 30 ans d’un ami. On va faire un peu de bruit. Navré ! » C’est drôle, moi quand je dis navré, c’est que j’ai arrêté de déconner et que je regrette d’avoir fait ce que j’ai fait. On va faire un peu de bruit. Il est passé 4h du matin. Il sait qu’on ne peut pas dormir. Il vient frapper à ma porte pour discuter. C’est surréaliste.

Nous avons par la suite quelques échanges via sms et de vive voix, cordiaux, tentant de trouver un terrain d’entente où comme un con, je lui propose des solutions où c’est moi qui m’organise pour que lui puisse vivre comme il l’entend. Par exemple, je lui propose de m’avertir à l’avance pour que j’aille dormir chez ma copine par exemple. Et je reste stupéfait qu’il accepte. J’aurais personnellement refusé et dit qu’il était hors de question qu’il doive partir de chez lui pour que je puisse faire le bruit que j’ai besoin de faire – en ne respectant par ailleurs pas la loi, soit dit en passant.

L’autre épisode clef. Le voici. Nous avons donc discuté, convenu d’arrangements. Il m’a averti une fois, peut-être deux, à l’avance. Beaucoup trop gentil, je suis allé dormir chez Claire, et l’ai même remercié de m’avertir. Un an passe, à supporter je ne sais combien de petits incidents. Claire évitant de venir dormir chez moi les veilles de travail. Mais voilà, insidieusement, ça recommence. Le naturel est revenu au trot.

17 février 2022, il est passé 22h, j’essaye de dormir, me levant tôt le lendemain. Impossible. Voix sonores, soudains cris d’excitation, chaises qui grincent, meubles qui tapent. C’est la x’ième nuit depuis des mois. Ce que j’ai appris jusque là, c’est que dire mon inconfort n’en suscitait pas beaucoup chez lui, pas assez pour qu’il arrête. Je ne sais plus quoi faire. Je suis dans mon lit, déshabillé, épuisé, j’ai peur d’aller parler à des mecs que je connais pas pour leur dire d’arrêter, ça m’est extrêmement coûteux et passablement terrifiant, je n’ai pas ce courage, je n’ai pas la force de me rhabiller, je m’attends à un énième effort vain, je ne vois pas ce que ça va changer, et tout ce que j’ai laissé faire jusque là me revient comme autant de capitulations qui lui donnent le pouvoir, le dessus. Pour la toute première fois de ma vie, à 23h45, je compose, tremblant de tout mon corps, le 117. Ils me disent qu’ils viendront. À 00h15, j’entends un autre voisin frapper au mur, le soulagement ! Quand je lui dirai par la suite que je n’étais donc pas le seul à être importuné, « c’était qui ?! » me fera-t-il avec de grands yeux indignés ! Quelle farce… Bon, ses yeux n’étaient pas seulement indignés, mais également férocement injectés d’un rouge qui n’était pas de la colère. Bref. À 00h45, je rappelle la police qui n’est toujours pas venue. 1H10, la voiture arrive. À 1h30 du matin, j’écris cet email à ma régie :

« Mon voisin du dessous, S.R., a une fois de plus, et malgré nos précédentes discussions, passé la soirée et une partie de la nuit – il est 1h30 quand j’écris ces mots – avec une bande d’amis chez lui, à parler fort sans le moindre égard pour les voisins, jouant vraisemblablement à un jeu ou regardant un match: le groupe poussant des cris d’excitations, faisant bouger des meubles, grincer des chaises. J’ai appelé la police à 23h45, j’ai entendu un autre voisin frapper au mur vers 00h15, j’ai rappelé la police a 00h45 qui est finalement arrivée vers 1h10. Après le passage de celle-ci, il y a eu une vague accalmie, mais tout le monde est toujours là, à discuter sans baisser particulièrement la voix, à la hausser par moment et à – j’imagine – se balancer sur des chaises qui tapent et grincent en faisant des bruits qui traversent et les murs et mes Boules Quies profondément enfoncés. Bruits qui même la journée seraient incommodants.
Je ne supporte plus d’être non seulement envahi par les bruits de mon voisin qui manifestement s’en fout royalement (ça continue maintenant de rire à gorge déployée), mais en plus m’empêche de dormir. Demain je travaille et vous pouvez imaginer comment cela va être pénible. Lors de nos échanges, S., au lieu de simplement s’excuser, trouvait le moyen de se plaindre de ne pas pouvoir faire autant la fête qu’il le souhaite. Nous avions convenu qu’il me prévenait à l’avance, ce qu’il a fait deux fois il y a longtemps (et qui n’était en fait pas ok, vu que ce n’était pas exceptionnel), et plus ensuite. Cette fois est la fois de trop.
Merci de bien vouloir faire comprendre à ce monsieur qu’il doit cesser une bonne fois pour toutes ces agissements, sans exception (j’en ai trop fait, je le reconnais). Pour ma part, désormais j’appellerai la police à chaque fois que passé 22h je suis importuné. Je prendrai des notes précises à chaque occasion et finirai par poser plainte s’il le faut. »

Malgré que les occasions n’aient pas manqué, je n’ai rappelé la police qu’une seule fois. Et la raison est assez remarquable pour être racontée. Une nuit de plus donc – ou « encore une de moins » devrais-je plutôt dire. Ça commence vers 21h et ça dure passé 22h, match de foot : chaque action me vaut une volée de cris excités, de mains qui tapent contre une table, d’exultations dont je peine à partager l’euphorie. L’intensité de mes émotions n’est pourtant pas bien moindre. Je lis et tente de garder mon calme. Quelque chose grince et couine quasi non stop comme quand on se balance sur un siège pas fait pour ça. Je me dis que jusque 23h, je vais tâcher de tolérer. Ça ne s’arrête pas. Je finis par ne plus pouvoir me retenir, tremblant de nouveau, me sentant coupable et peul, fâché de ne pas avoir le caractère et l’assurance pour descendre et poser un STOP définitif et radical, j’appelle la police. Je leur refile la sale tâche que je n’arrive pas à assumer – ou bien je me réfère à l’entité qui, je l’espère, montrera à cet individu qu’en fait il dépasse les limites et qu’elles ne sont pas seulement miennes et personnelles mais aussi sociales et légales (les deux sont vrais, au fond). On me répond, voix de femme : « ouiiiiii ?? ». Étrange, c’est comme ça qu’ils répondent au 117, l’air agacé, prenant de haut l’interlocuteur qui appelle à l’aide ? Sur un ton de dédain et d’exaspération ? Elle doit être fatiguée… Je lui explique le topo : j’ai déjà appelé une fois, le voisin remet ça. Ils vont envoyer quelqu’un – j’entends dans la voix de la policière quelque chose d’une componction, j’imagine des yeux qui se lèvent au plafond, et je me sens pris pour un petit con (mais c’est toujours difficile de démêler la projection de la sensibilité). Bon, ok, bizarre. J’attends. L’enthousiasme de mes amis ne tarit pas, encore un grand cri et des coups, je voudrais juste être en train de dormir dans un bienheureux silence, c’est tout ce que je demande, mes yeux me brûlent de fatigue, j’ai le nez plein de moutarde, je ne me contiens plus, un geste m’échappe : je frappe du talon sur le sol deux trois fois. Quelques minutes plus tard, S. est là, derrière ma porte, à venir se plaindre que j’exprime mon ras-le-bol. Il se tient au mur et ce n’est pas de timidité. On parle. Je tremble, je tiens à peu près ma position. « Oui, c’est chaque semaine, non ce n’est pas rare. » Mais qu’apprends-je, de la bouche de celui qui du coup se croit d’autant plus dans son bon droit : les policiers de la dernière fois, quand ils sont venus, ils sont restés derrière la porte un moment, ils n’ont quasiment rien entendu, ils ont toqués, S. a ouvert, ils lui ont dit que le voisin s’était plaint mais que eux n’entendait rien à ce qu’ils pourraient catégoriser de tapage nocturne (je doute qu’ils se soient exprimés ainsi) et que « pourquoi il ne vient pas vous parler votre voisin ?! » Et c’est ce qu’il me ressort ce trou du cul : pourquoi t’es pas venu me parler au lieu d’appeler les flics ? Euh… J’étais tellement sidéré qu’ils n’aient rien entendu (mais attendez, ce n’est pas le fin mot de l’histoire avec la police), j’ai juste réussi à émettre l’hypothèse que peut-être le bruit ne passe pas de la même manière à travers un corridor et deux portes latérales jusque dans le couloir de l’immeuble que par le plafond directement – une hypothèse qui de toute évidence ne valait pas grand-chose face à la parole de la police. Deux ans de plaintes tout d’un coup si aisément remises en question pour celui qui « fait attention à ses voisins » (sic).

Et voici la nouvelle qu’il me lâche dans le couloir, vacillant légèrement sur ses jambes, la paupière un peu lourde, l’oeil moyennement frais : tu exagères. C’est le nouveau paradigme. J’exagère. Ça veut dire quoi ? Que je me plains par plaisir, par besoin, que c’est ma petite revanche sadique sur la vie ? J’exagère, je me plains plus que je ne devrais,plus que je suis censé le faire au vu de la réalité des bruits que je perçois ? D’accord, ça se pourrait hein, ça doit exister, un caractère paranoïaque, un brin de psychose qui trouve là sa cible hallucinée, une tendance à la méchanceté, un peu de niaiserie dans le contexte frontal, un défaut de sens de vie mêlé de frustrations affectives chroniques, ça peut le faire : je prends le premier voisin qui déborde un poil de ses murs, je le harponne et je ne le lâche plus. Pauvre bête dit. Il ne peut même plus inviter des amis à minuit pour boire des coups et refaire le monde. D’ailleurs la police le lui confirme : il a un problème votre voisin, il exagère, il a qu’à venir vous parler. C’est vrai quoi, j’ai même pas essayé. Ou bien si ? Je sais plus !

Bref, la discussion n’aboutit à rien. Mon hypothèse a glissé sur ses plumes, il aurait sans doute aimé que je reconnaisse mon abus, la vérité policière. Son dernier rictus en repartant chez lui me dit sans ambivalence son dénigrement, son autorité, son bon droit. (Mais encore une fois : entre projection, interprétation et ressenti, le pelote est emmêlée). C’est la fin d’une possible entente. Mais ce n’est pas la fin de l’histoire !

Je ferme la porte, je rappelle la police et leur dit d’annuler ma demande. Le voisin est passé. On a discuté. La même voix, le même dédain, le même je m’en foutisme, la même totale absence de considération. Et vous savez quoi ? Ce n’était pas une projection.

Quelques jours plus tard, Claire et moi le croisons en bas. Salut vaguement cordial, tandis qu’il ferme son vélo, je lui dit un peu fébrile, avec l’espoir de trouver un semblant de paix, que je vais lui écrire une lettre pour que les choses soient plus claires, posées, et que ce sera plus simple comme ça. Là-dessus, lui me répond : « Tu sais, j’ai des amis à la police, et donc en fait ils m’ont dit que t’avais appelé l’autre soir avant que je vienne hein ?! », l’air menaçant, content de lui, d’un hochement de tête qui disait sa supériorité, son mépris, son ascendance. J’ai acquiescé, me sentant con d’avoir été une nouvelle fois pris en flagrant délit de lâcheté. De lâcheté ou d’impuissance ? Quel recours a-t-on en face de ces attitudes ? Je ne saurai jamais ce que ça aurait donné si dès la première fois, je lui avait dit : « non mais en fait, je ne te demande pas de baisser le volume là, tes potes il se cassent, je ne veux plus rien entendre dans 5 minutes, sinon j’appelle les flics. Et je ne veux plus jamais t’entendre au téléphone au milieu de la nuit, compris ? » Parce que c’est ça que j’avais le droit de lui dire. C’est ça que la parole policière aurait dû soutenir.

Oh je vais commettre une bassesse, je vais émettre une autre hypothèse : ses fameux potes policiers sont vraisemblablement tout aussi soucieux d’agir avec un certain sens de la moralité que ma pauvre victime. Et il aura été aussi malin qu’eux en me laissant savoir qu’ils n’avaient pas tenu leur devoir de réserve ? Gros malin va. Tu n’as donc pas compris que mes tendances parano-sado-schyzoides trouveraient là un merveilleux alibi poser une main courante ?
Bref. Aucune des couches qui s’accumulent ne me laisse espérer la moindre intelligence – mot dont je laisse intentionnellement résonner l’ambivalence sémiotique ici.

Donc, les flics c’est foutu pour moi. Et je vis désormais dans un nouveau paradigme avec celui qui ne faisait pas tant de bruit que ça : c’est moi, qui fait beaucoup de bruit pour pas grand-chose.

Ne manquant pas d’un espoir qui flirte avec la tragédie, je lui écris ma lettre, polie, exposant les règles de bon voisinage et tous les efforts que je fais pour les respecter et la réciproque que j’attends. Suite à celle-ci, j’ai cru noter pendant quelques mois, l’été, une accalmie. La réalité d’un effort de sa part ? Je n’en sais rien, il ne m’a jamais répondu. Quand finalement le cirque recommence, de dépit je m’accroche alors à de toutes petites choses : me plaindre auprès de Claire qui a subit aussi et sait que je ne raconte pas des bobards. Me dire que je ne suis pas fou quand ma collègue de travail me demande si ça va, parce que je baille toute la journée. Halluciner quand j’apprends de ma voisine H. les épisodes qu’elle a vécu avec les inondations, et rire en secret de l’entendre avoir des mots plus durs que moi à l’égard de celui que je ne juge pas avec assez d’exagération. Être rassuré d’entendre les récits de personnes qui ont finalement déménagé après avoir tout essayé auprès de voisins qui ne voulaient rien entendre. C’est dur d’entendre quand on fait du bruit. Et ceci que Claire m’a conseillé de continuer méthodiquement : noter tout, noter chaque fois, la date, l’heure, les bruits. Déjà, ça permet de se rendre compte de la répétition, ça donne du concret à ces moments souvent vécus dans des états second, de sommeil, d’épuisement, de colère, et dont on fini par douter, et potentiellement, ça peut jouer le rôle d’un dossier solide à envoyer à la régie.

J’ai donc continué, quand j’y pensais, mon petit journal de paranoïaque qui entretient avec une rigueur toute compulsive sa psychose.

Vendredi 26 février : jusque 23h, voix fortes à plusieurs, porte claquée en partant.
Samedi 27 février : 4h du matin, stores descendus – nos vieux stores des années 40 font un ramdam pas possible.
Dimanche 28 février: appel téléphonique voix forte entre 2130 et 22h.
Jeudi 3 mars : 23h porte qui claque et voix forte, 1h10 du matin stores, chacun (il y en a deux) à 5 minutes d’intervalle, et en parlant encore à vive voix
Dimanche 6 mars 18h-23h (plus tard encore?) : bande qui vocifère, parle fort, apparemment en regardant du sport ou jouant à un jeu. Tel police.
Mardi 29 mars : nombreux invités jusque 23h, 23h30 stores baissés, coups contre murs
Jeudi 31 mars : voix fortes 23h
Mardi 5 avril : de 2215 à 23h au téléphone parle super fort, bruits et coups dans la cuisine (j’ai dormi 3h30 hier soir à cause de coups jusque 2h du matin venus d’ailleurs – j’apprendrai plus tard qu’il s’agit de son voisin d’à côté, qui souffre de lombalgies et se cogne contre les murs la nuit – encore une de mes exagérations)
Vacances 10 jours
Mardi 19 avril : 22h30 voix fortes, discussion (je ne peux plus me concentrer sur une lecture, je dois monter le son d’un film, mettre les casques pour travailler)
Mercredi 20 avril : 23h11 musique, vaisselle, coups, voix forte
Mardi 26 avril : 22h15 ça gueule à plusieurs, j’espérais dormir à 22h30, réveil à 6h demain, 2 boules quies enfoncées à fond, impossible
Pause / LUNDI 24 OCTOBRE – REPRISE DES NOTES
Après un mois de bruits récurrents: cri à 6h du matin un dimanche en arrivant dans la rue posé par une voiture, il gueule de toutes ses forces « bonne soirée ! » à ses potes, c’est sa voix, 3min plus tard, je l’entends entrer chez lui, il baisse ses stores à 6h15
Stores baissés en pleine nuit (23h, 1h du matin, 5h du matin) avec coups qui tapent quand les stores arrivent en bas (monsieur prend soin de ses voisins)
Passe des téléphones sur le balcon à pleine voix entre 23h et minuit régulièrement, soirée avec des invités et des cris jusque minuit.
Etc.
Nuit du vendredi 22 octobre 5h du matin, parle et rigole avec copine comme s’ils étaient au bistro (je dormais)
Etc.
Samedi 14 janvier 1h20 voix me réveillent
Dimanche 15 janvier 5h porte et voix me réveillent, 5h45 baisse les 2 stores, me réveille de nouveau
Dimanche 22 janvier, groupe d’amis qui regarde un match et poussent des gueulantes
Vendredi 27 janvier 1h du matin, voix, 3h du matin meubles déplacés et stores baissés (enregistré)

Nous voilà arrivant doucement vers la fin de ce récit. Et nous avons droit à un énième rebondissement. Vous vous souvenez des bruits de pas dont j’ai tenté de comprendre la source pendant deux semaines, me rhabillant pour sortir dans le hall de l’immeuble, montant et descendant les escaliers, collant mes oreilles aux portes, le bruit distinct dans mon appartement disparaissant dès que je retrouvais dans le couloir, et plus encore dès que je m’approchais de chacune des portes suspectes. Je me suis résolu à taper aux portes de mes voisins du dessus. Par pure élimination, il ne restait que D., qui était tout embêté d’apprendre qu’il m’avait peut-être dérangé, moi n’étant jamais tout à fait sûr que ça venait de chez lui : je l’imaginais mal marcher à cette vitesse chez lui, ses tapis au sol me semblant devoir étouffer facilement même ses pas les plus lourds. Mais les bruits ont presque disparu après cette visite, sauf en tout cas à une reprise où je suis monté presque aussitôt chez lui pour voir si nous ne faisions pas fausse route. Il m’avait répondu s’être déplacé, j’étais resté dubitatif, mais je ne voyais vraiment pas d’où ce galop d’éléphanteau sous amphétamine coincé entre quatre murs pouvait bien venir. Bon, je sais, vous me voyez venir, avec mes sempiternelles exagérations. Il me fallait un bouc émissaire, et c’est toujours le même qui s’en prend plein la poire. C’est tellement injuste. Sauf que voilà : après deux semaines à parcourir les étages pour tenter de comprendre où était emprisonné l’animal, j’ai finalement eu la réponse à ce mystère et à un autre, non moins précieux ! Mais avant tout, un peu de contexte :

Dimanche 23 mars : hier, j’ai demandé à ma voisine si la porte qui grince très bruyamment depuis deux semaines (la journée mais aussi après minuit et dès 7h le matin) est chez elle. Elle m’a répondu par la négative tout en me confirmant être également importunée mais n’arrivant pas à savoir d’où ça vient non plus. Ne sachant pas si ça vient d’en-dessous ou d’ailleurs, j’ai posé un papier dans l’ascenseur : « nous sommes plusieurs à être dérangé-es par une porte qui grince. Un petit coup d’huile ? Merci ! ». Le lendemain dimanche, au beau milieu du silence dominical et d’une agréable lecture au lit, 17h la porte grince, irritante, inutile, exaspérante de répétition, d’absence de considération du mot posé dans l’ascenseur. Un cri alors m’échappe (« Woh! »), et voilà que la porte grince à répétition pendant 30 secondes en continu. J’entends par la suite S. parler et faire couler l’eau dans sa salle de bain. (Je ne sais pas qui de nous deux maîtrise le mieux l’art de l’exagération.)

Patience, ça vient.

Mardi 5 avril, entre 23h et minuit : bruits aussi forts que les travaux la journée: coups violents contre les murs, je sursaute dans mon lit, déplacements de meubles, vaisselle cuisine. Me réveille plusieurs fois.

Et soudainement toutes les pièces du puzzle trouvent leur place.

Vendredi 7 avril, jour férié : il fait du débarras, toute la matinée j’entends, sa porte qui grince, sa voix qui parle fort, les poubelles (bouteilles et autres) qu’il dépose dans le couloir sans ménager le bruit, et surtout : ses talons qui frappent le sol.

Ses talons. L’éléphanteau électrifié. C’est lui. Pas D. Pauvre D., j’irai lui dire, le soulager. Ce n’est pas toi D. Mais alors, si j’exagérais pour des conversations nocturnes, quelle poids pourrait bien avoir ma parole s’il s’agit d’annoncer que ses pas, posés sur le sol du 5ème, font des coups de marteaux dans le studio du 6ème. Déjà ce n’est pas logique. Alors allez expliquer ça à quelqu’un que ça arrange de ne pas entendre.

Mardi 15 avril : réveillé 3x entre 23h30 et 00h15 par la porte qui grince.

Il l’aime sa porte. Mais c’est moi le sadique. Moi aussi, si j’avais une porte qui grinçait, je prendrais un malin plaisir à la faire grincer, en sachant pertinemment que les voisins l’entendent. J’aurais cette merveilleuse petite satisfaction. Ce pouvoir. Cette confirmation d’autorité, ce droit d’être au-dessus des règles : devant sa porte, malgré qu’il nous soit interdit d’y mettre des affaires personnelles, lui laisse traîner pendant des mois des boots de surf, puis un panier à fruit avec un parapluie – c’est vrai que ça prend de la place, on peut comprendre. Au courrier qui nous demandait de vider nos balcons une semaine avant le début des travaux il y a deux mois, il a vraisemblablement dû obtenir une dérogation : ses damiers en bois sont toujours au sol, et vous saurez que ce sont les ouvriers qui ont dû s’occuper de retirer ceux qui les empêchaient d’installer les échafaudages ! Le rappel par courrier de la demande faite n’y a rien changé. Une lettre écrite par quelqu’un, imprimé avec passablement d’encre vu le nombre, apportée par quelqu’un et déposée dans toutes nos boites. Pour celui et les autres qui se foutent de la gueule du monde. Rien de neuf sous le soleil.

Aujourd’hui, j’hésite encore, principalement par lâcheté, à demander une médiation à la régie. Je me fais mal au cœur à penser au nombre de journées que j’ai passé avec les nerfs à vif, l’oeil hagard, l’humeur morose, la tête douloureuse, l’humeur mauvaise, la pensée lente et pâteuse. Je me souviens de quelques samedis après-midi à dormir pour tenter de récupérer. J’en arrive maintenant à avoir la boule au ventre la veille d’un retour de weekend en imaginant la nuit qui m’attend chez moi. Et j’entends en moi, tout au fond, cette voix qui me dit : tu exagères. C’est difficile de faire confiance à ses ressentis quand on n’a pas appris à le faire.

J’aimerais tant pouvoir clore cette histoire avec une note de satisfaction. Une victoire. Mais la seule que je me trouve, c’est d’avoir écrit cette nouvelle. C’est déjà pas mal.

15 avril 2019
Boris Dunand

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Artiste polymorphe suisse

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