Nomadland: y revenir encore et encore, en passant par chez soi
Fini Nomadland hier soir, des larmes de bonheur, de soulagement, de besoin… Des sensations que je retrouve ce matin avec Subutex (Virginie Despentes), quand toute l’équipe vient au parc se retrouver autour de Vernon… la solidarité, les échanges, le dehors, le temps libre… un truc fort entre solidarité et solitude, la coexistence de ces deux pôles. La liberté et son prix.
Ce film, troisième fois que je le regarde. Toujours la même émotion, le même lieu rejoint dedans. Un truc essentiel. Absolument précieux. Comme débarrassé de tout un tas de choses parfaitement secondaires, triviales, sans importance. Je suis ramené à ma colonne vertébrale. Le système défensif n’a plus lieu d’être. J’y vois clair. Je me dis qu’au pire, j’ai toujours ce plan B, pour finir ma vie : un bus et du voyage. Ce fut le bonheur de mon enfance: les vacances de camping sauvage. Pour l’heure, les conditions de mon emploi sont presque trop bonnes, c’est comme d’avoir un loyer exceptionnellement bas : tu n’as pas trop envie d’entendre en toi des choses qui pourraient te faire quitter un tel royaume (parole d’expérience).
Revenons à Nomadland. Le truc qui me contrarie fort ce matin, c’est que j’étais dans un truc précieux, de lenteur, d’attention, de distance à la tension bien présente. Faire mes exercices malgré et dans mon état comateux, lire un moment sans me précipiter sur un café, sentir que je n’ai envie de rien, que ça me fait du bien de ne rien faire, purée c’est bon et si rare, et boum, à 10h, le bruit des travaux soudainement commence. Mais pas vraiment. Puis si quand même. Ah ben non. Finalement si… Alors je suis parti. Pour préserver ce que le film m’a fait contacter.
Revenons à Nomadland. Sa solitude ne me fait pas peur. Elle la choisi à plusieurs reprises d’ailleurs. Qu’est-ce que ça me fait contacter de si bon ? Il ne lui reste que l’essentiel. Elle doit tout abandonner. C’est douloureux et en même temps bon, en même temps une délivrance : d’ailleurs elle était restée dans la ville de son mari décédé par loyauté, pas par désir. Je regarde le film et je pense à ce que je pourrais encore vider de mes armoires – pourtant déjà monstrueusement vidées. 90 % de mes dessins d’enfance, 50 % de mes livres, 30 % de mes CD. Des ustensiles, des boites, des jouets, des BD, de la paperasse… des assiettes de famille, porcelaines peintes par maman, des pages et des pages d’album photos, des sacs entiers de photos souvenirs de paysages des vacances… Des meubles entier, oui des sacs de 17 litres remplis passant à la poubelle, des allers-retours à la déchetterie des acacias à pied, en vélo… Il y a ça : ce besoin de me défaire encore. D’avoir le moins d’affaire possible.
Revenons à Nomadland. La beauté des paysages. Ça me retourne les trips de n’en jamais voir même qu’un petit bout. Cette année ce sera la Bretagne, en septembre. Deux semaines. 15 jours sur 365. Ça joue pas, sérieusement ça joue pas. Quel con d’être allé me fourrer en Petite Camargue. Heuresuement, il y a eu Marseille et l’île du Frioul. Un jour de plus, un jour de délivrance. 16 en tout.
Revenons à Nomadland. Le calme, le silence, le rythme : central. Il y a quelque chose d’une douceur qui ne s’arrête quasiment jamais (sauf quand son bus tombe en panne, ou qu’elle se les gèle dans la nuit, ou que son assiette fétiche est cassée, et quand le gars vient pisser tandis qu’elle récure). Il n’y a de heurts que les émois, la mélancolie, la perte, le manque. Mais quand elle roule, il n’y a pas de feux, pas de croisements, pas de circulation, que des paysages infiniment beaux et vastes. L’océan. La sublime maison de campagne. Tout est lent, doux. Rien ne presse jamais. Rien ne presse jamais : ça. C’est le miel que j’y trouve. Même quand elle travaille chez Amazon – et ça ne doit pas être très réaliste, ou bien c’est elle, sa façon de tout habiter avec un calme que rien ne semble pouvoir démonter – on devine la violence de la machine énorme, l’absurdité des gestes et de la culture d’entreprise, la fatigue immense, mais on ne la voit pas subir une vitesse. Quand elle a fini, elle est de retour dans son rythme à elle, qui ne l’a pas vraiment quitté. Elle songe. Elle retourne à son songe, à son regard, à sa douce et tendre mélancolie. On est bien dans la mélancolie. Ça me va la mélancolie. La vie y est profonde et dense, riche et belle, et tout est incroyablement présent. Mais c’est bien ça que me donne le film, c’est ce terrain intérieur qu’il fait remonter à la surface et qui me soulage tellement. Un calme et une lenteur. La perception nette de ce qui compte et de ce qui ne compte pas, ou pas tant.
Ce film me fait descendre d’un train d’agitation et de vacuité. J’y reviendrai encore et encore. Pour descendre de nouveau. Jusqu’à ne plus avoir besoin. Quand je serai descendu du train pour de bon. Quand je serai dans mon van, au milieu des lenteurs d’un paysage qui n’a plus rien à prouver à personne.