un ailleurs qui donne joie (crise de panique)

Crise de panique
hier
en cours de promenade
dans le bus
immense vide
immense inconfort
sans la moindre piste
rien
rien qui ne me retienne

Comment mieux décrire

15h, j’ai fini de grosses tâches administratives, j’ai avancé sur une création et n’ai plus envie d’y toucher, je sors, je pars pour une heure de promenade, avec un Polaroid et un 35mm. Gros nuages noirs ciselés de grandes baies bleues et de dégueulis de lumière blanchâtre. La bise souffle. Il fait froid sous la nuée et chaud en plein dégueuli. J’essaye de suivre des envies. Je me retrouve à la Bâtie. Les bouquetins des Alpes me crèvent le cœur. Je les imagine dans leur habitat naturel, je regarde ce qu’ils ont. Je regarde le tout jeune, qui n’a sans doute rien connu d’autre que cet enclôt. Pourquoi, pourquoi on fait ça, nous, les humains, surtout, pourquoi on continue de le faire ? Et puis c’est moi aussi, dans la cage, sur ce territoire qui est un succédané factice et microscopique de celui que j’ai l’impression de porter en moi comme une mémoire, une aspiration. Moi qui suis coincé dans ce faux-semblant étroit, limité, pâle copie de carton d’un monde plus riche, plus coloré, plus vrai. Les mailles de fer, un filet de pêcheurs qui continuent de ramasser du poisson quand les tables pourtant débordent déjà. Je ne sais pas. Je continue ma marche, je constate : pas une photo. Pas eu une seule fois l’envie de décrocher du réel un petit tableau poétique ou une scène étonnante, belle.
Ce constat plante une graine pour ce qui va venir plus tard.
Maintenant je me dis : un polaroïd de cette cage avec les bouquetins derrière le grillage, j’y ai pensé mais je ne voyais pas comment le faire avec force. Si je vois maintenant : cette ouverture dans le treillis, pour laisser passer le regard de qui observe les animaux – comme une signature sans vergogne du rapport imposé aux bêtes. J’irai peut-être le faire un jour.

Je continue. J’arrive sur le pont de la Jonction. Je découvre qu’ils ont changé toute la barrière. C’est plus fort que moi : je me moque, je m’attriste, je m’apitoie. Me remonte d’un seul assaut en tête tout ce que j’ai vu cette année de travaux faits et immédiatement défaits pour être refaits ensuite. Ils n’avaient pas pensé à ceci, n’avaient pas anticipé cela, ne savaient pas que ceci… Les sommes engagées, les semaines, les mois de travail pour rien. Et là donc, nous sommes passés de cette immense barrière d’un mètre nonante à travers laquelle une des vues emblématiques de la ville ne pouvait être appréciée qu’entre deux barres de métal, à la même configuration, sauf que les 40 derniers centimètres en hauteur forment maintenant des cadres d’environ 70 centimètres de large qui permettent d’avoir une vue dégagée. Le tout est évidemment d’une laideur sans nom. A quel moment cette barrière ou la précédente empêche quiconque veut sauter de sauter, je ne sais pas. Ici non plus, rien qui ne déclenche en moi l’envie d’une photographie, d’un souvenir, d’une saisie, d’un plaisir visuel. Rien. Désert d’élan qui m’assèche, me désole.

De l’autre côté du pont, je prends le chemin du retour, dans le quartier qui surplombe le Rhône. Dans ma tête. Les bouquetins, mon appareil photo silencieux, le soleil froid, la barrière. New York encore il y a 10 jours. La reprise du travail. Le passage des journées d’errance à l’immobilité rivée aux écrans. La transition de l’émerveillement quotidien à l’ennui. Cette tambouille dans la poitrine tourne : un grand vide soudain. Une sidération, un vertige. Bouffée de panique. Il doit y avoir un ailleurs qui donne joie, non ? C’est pas possible ! Il doit exister un lieu, une façon, un rapport, un contexte qui épargne, qui soulage de ce manque absolu. Non ? Cherche un point de fuite, une visée, un espoir. Murs, grillages, mirages, incertitude. Je ne peux plus marcher. Je prends le bus. Tout m’insupporte : les bruits, la lumière, les comportements, la lenteur, les feux rouges.

A peine rentré, comme une accroche qui empêche de vaciller : autoportrait au miroir, utiliser l’appareil, faire une image, garder cette expression – bouche ouverte, yeux atterrés. Je ne peux plus prendre soin de moi. Le vide m’assiège. Je capitule devant un film con, les doigts couverts de gras aux relents de paprika. À 2h du matin, je vomis tout. Maintenant, cela.

crise de panique, autoportrait journal intime en prose
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Artiste polymorphe suisse

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