Ecriture et corps: comment ça se tient?
1 dec
La position du corps. Table, café, cahier. Et la chaise, et le corps. Pour écrire. Je cherche quelque chose, dans le corps, avant d’écrire, pour pouvoir écrire.
Déjà je tire le bureau jusqu’au milieu de la pièce. (Il glisse délicatement sur les feutres ajoutés.) Alors la lumière tombe de la lucarne sur les pages. Alors je vois du ciel. La fondation d’une certaine écriture – autre que celle du bistrot, de l’ordinateur ou du train. Et un joli toit, trois fenêtres et une belle verrière. Ensuite, le corps. Plume en main, une gymnastique commence : basculer la chaise et poser les jambes sur quelque chose (le dos n’aime pas trop); plutôt tendre les jambes et affaisser le bassin, le torse légèrement de biais, main gauche au chaud sous le pull; ou, jambes sur la table, chaise en arrière, cahier sur les cuisses; puis, le tronc affalé sur le bureau, tête logée dans la paume ou sur le poignet replié, les yeux tout proche de la page, jambes croisées – celle-ci, je l’aime bien (mais je ne vois plus le ciel). Celle-ci se rapproche le plus d’une réponse attendue que je tente de saisir ici, car je ne sais pas précisément ce que je cherche.
Une absence de douleur, un confort. Que le corps, confortablement, installé, puisse être oublié. Est-ce un oubli, un effacement ou au contraire, un support capital ? Et si j’écrivais la douleur, l’inconfort, les éclats de ce corps qui se manifeste ? Déjà aujourd’hui, un pas de côté : je saisis le portrait de cette danse, qui a lieu à chaque fois, et qui ne trouve jamais de réelle satisfaction, fantasmant le fauteuil parfait qui éliminerait cette quête en fait agaçante. Mais est-ce que je sais précisément le besoin ?
Une détente.
Une détente totale.
2 dec
Oublier le corps, c’est oublier ce contact dur entre la chaise et les muscles ; ne plus porter le poids du crâne ou des jambes ; ne plus sentir le tiraillement dans la nuque, dans l’aine, tous ces nerfs et tissus qui s’arc-boutent ; c’est libérer la plante des pieds de l’écrasement contre le sol ; c’est pouvoir tenir en apesanteur, et que le seul effort physique tienne tout délicatement dans mes doigts, ma main et mon bras qui écrivent.
Mais ce n’est pas oublier le corps. C’est trouver, voire peut-être retrouver, le corps moelleux, alangui et insouciant. Un corps content, un corps heureux. Un corps doux, des pieds à la tête. Un corps qui ne donne à sentir que du bon, de l’agréable, du confort.C’est un corps de repos et de réconfort.
C’est ce corps-là que je cherche pour écrire cette écriture, c’est cette écriture que je cherche pour me donner ce corps. C’est cette écriture que je me donne pour chercher ce corps. C’est ce corps-là que cette écriture me donne : en me le demandant, elles m’en rappelle l’existence, m’en montre le chemin.
Un corps désinquiété. Un corps que l’inquiétude a quitté.
Un corps au repos. Tu vois, ces officiels qui se tiennent droits comme des piquets, tu vois la transformation de leur corps quand leur chef leur dit : « repos! » ? On baisse la garde.
Un corps qui devient sa propre maison. Ce n’est pas le corps qui est oublié, effacé, annulé, c’est tout ce qui le brusque. Des matières qui lui font mal aux troubles qui le contrarient, en passant par les humeurs qui le rongent.
Par l’écriture, pour écrire, en écrivant, je cherche un corps attendri, un corps tendre.
