Je veux donc je peux (?)

je veux donc je peux

L’oubli

Quand les choses deviennent possibles, j’ai parfois trop vite fait d’oublier tout le chemin parcouru. La soudaine simplicité me laisse croire que j’aurais pu commencer plus tôt. Qu’il aurait suffit de comprendre ce que je viens de comprendre.

Comme si rien de ce que j’ai vécu jusque là n’avait été nécessaire, réel, important.

C’est la facilité soudaine qui tend un piège et il est difficile de ne pas y céder. Les difficultés ont disparu, ou elles ont perdu assez de leur pouvoir pour passer inaperçues. Je pourrais ne voir que ma réussite et mon envie, ma volonté et son résultat. Cet épanouissement se résume tout d’un coup à sa fin, qui paraît alors magique, instantanée, radicale et définitive.

Comme si ce n’était pas plutôt le résultat d’une lente et longue maturation, touffue de mille facteurs qui l’ont rendue possible.

Je demande: à ignorer les arcanes intimes et les contextes d’un épanouissement, est-ce qu’on ne rate pas une rare occasion de faire plus ample connaissance avec soi-même?


Honorer ce qui est refusé

Combien de fois suis-je en train de ne pas vouloir vivre ce que je vis? De ne pas vouloir sentir l’empêchement, la frustration, l’impuissance, le sentiment d’échec, la rage? Alors qu’ils sont là. C’est comme si j’attendais que tout cela disparaisse pour pouvoir me dire: voilà, ça c’est moi, là j’y suis, c’est ça que je veux.

Mais pourrait-on plutôt honorer les processus discrets de cette maturation? Des multiples hésitations aux rebondissements, des échecs aux remises en questions, des replis et des abandons, des résistances du réel, tous les détails du cheminement, en passant par les facteurs de l’environnement, tous ces déterminants externes à soi qui échappent à notre perception aussi bien qu’ils nous conditionnent? 

Non le héros, c’est moi et ma volonté. Je veux donc je peux. Un jour j’ai vraiment voulu, et alors j’ai pu. Ah bon?! Les autres n’y sont pour rien? les possibilités matérielles, techniques, institutionnelles, étatiques, financières, ne jouent aucun rôle ? L’héritage physiologique, familial, transgénérationel, l’entourage, les opportunités, les contingences, les présences de milliers de vie annexes, tout cela et bien plus ne joue aucun rôle. Ah bon!?

Une toute puissance fantasmatique

Je suis attendri par ce soulèvement naïf, cet oubli, cette toute-puissance fantasmatique. Attristé aussi un peu. Je lui demande de ne pas renverser le monde à son délire. Je lui demande de faire de la place à toute ma personne, avec aussi ce que j’ai de moins reluisant, de plus emprunté, de maladroit, d’incapable, de perdu, d’embarassé. J’aimerais pouvoir reconnaître la valeur de ces expériences, leur richesse, leur réalité sensible, leur réalité tout court.

Oui, j’ai envie de dire que c’est aussi important de pouvoir et de réussir, que de ne pas pouvoir, et de ne pas réussir. J’ai envie de porter mon attention sur les milles facteurs assemblés autour de ma volonté et de mon désir, qui ne sont que deux moteurs parmi d’autres, deux facilitateurs mais aussi empêcheurs, et de bien voir toute la panoplie de ce qui a permis mon apprentissage, mon évolution. Souvent je découvre alors que les choses qui l’ont empêché l’ont aussi façonné, lui ont donné sa forme finale, lui ont permis d’être, de devenir.


Ce qui est perdu

Pourquoi s’embêter à tout regarder, tout sentir, tout reconnaître? Parce que quand je n’arrive pas à faire ce que je veux, pourtant je vis aussi, je vis déjà, et intensément, même si je ne veux pas le reconnaître. Et ça me semble dommage. Autrement dit, parce que je ne veux pas attendre un au-delà du difficile pour me sentir exister, pour prendre le risque d’être là, avec moi, avec les autres, comme je suis.

Peut-être que d’honorer et de valoriser l’incapacité, la quête inconfortable, difficile, permettrait des choses? Au lieu d’éviter de sentir tout ce qu’il se passe, je pourrais sentir ma vie comme elle est maintenant, dans ce moment qui n’est pas encore comme je voudrais qu’il soit. Au lieu de chercher à échapper à moi-même, je pourrais me tendre la main et me rencontrer là où je suis.


Ce qui est à retrouver

Je trouve important que chaque lieu de vie puisse avoir sa place, et pas seulement les plaisants, les confortables, les rassurants. Si je ne reconnais que ceux-ci, ils ne reflètent pas la réalité de ma vie, et je ne peux pas l’embrasser dans toute sa richesse. Souvent ils me laissent flottant, irréel, évanescent, privé d’une foule de vécus qui colorent mon passage.

Et si cette vie n’est pas un passage coloré…

Artiste polymorphe suisse

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